Le style c'est l'homme, bien sûr. En ce sens, la peinture d'Yvon Carlet est très représentative de sa personnalité,mais aussi de son itinéraire personnel qui devait conduire ce Varois de naissance d'abord en Bretagne puis à Paris avant de le ramener dans le midi : Il vit dans le sud-est depuis quarante ans. Ou plutôt dans différents sud-est qui ne parlent pas tous avec le même accent.Mais n'anticipons pas.
Prenons Yvon Carlet dans sa prime jeunesse. Que voit-on ? Un prolétaire heureux car, en ce temps là, la classe ouvrière a gagné une place au soleil que les puissants ne peuvent pas encore remettre en cause. Ces laborieux continuent certes à souffrir au travail mais ils gardent assez de marge pour se cultiver et pour créer. Rien de plus révolutionnaire que ça. Et Yvon Carlet ne déteste pas la révolution. C'est un dur,à sa manière. Des nerfs, du muscle, de la volonté. Il en faut quand on est métallurgiste et qu'on a l'esprit artiste, c'est à dire ailleurs. Il se bat. Il sifflote. Il lit. Il regarde plus loin. Il franchit le miroir...Le voici à Paris oû il se frotte à des grands peintres comme Moretti. Il se lie d'amitié avec Edouard Pignon qu'il rencontre chez lui en 1968, avec des écrivains aussi, tel Louis Nucéra, Alphonse Boudard, Claude Poulain, Hélène Parmelin et quelques autres. Fasciné par le travail de Léger,de Pignon et, bien sûr, de Picasso, il s'intellectualise. A la ville, il est publicitaire : faut bien manger. Chez lui, il peint. Il se risque à peindre plutôt, avec une sorte de ruse mêlée d'inquiètude.
Puis il s'engage dans l'édition. Il organise la vente de livres généralement tournés vers la haute littérature ou les arts. " Un travail passionnant, qui m'a, je pense, rapproché de ce que je voulais faire " analyse-t-il.
Car, entre peinture et littérature, il existe des liens étroits, d'ailleurs éxaltés par de très grands comme Aragon et Eluard ou encore Cocteau. Mais ces liens éxistent aussi avec la musique. Et Yvon Carlet tâte de tout : peinture, guitare, poèsie. Au dos de ses tableaux, il n'hésite pas quelques fois à composer au feutre noir des sonnets informels qui réclameraient un sort éditorial.
Quant à la forme, Yvon Carlet ne fait pas mystère des ses sources. Les grands courants abstraits des années cinquante et soixante se reconnaissent en filigrane dans toutes ses toiles. Mais évidemment, Il ne se borne pas à refaire cent fois une peinture qui commencerait à dater. Cet art des décennies précédentes fait office d'incipit ( on retrouve là le poète ) à partir duquel il développe toute une création très contemporaine, originale, heureuse rachetant la rudesse de l'abstraction et du graphisme brisé par des formes pleines, harmonieuses, cursives. Et surtout par un grand travail sur les les couleurs.
Yvon Carlet- Tête baissée dirait-on si nous n'avions pas affaire là, en réalité, à une grande maturation- s'exprime dans des tons violents, ou très chauds ou très froids. Jamais tièdes. Ce n'est pas un homme tisane, ni un néo-impressionniste timoré. Il assume ses choix avec une belle fermeté qui concourt à rendre sa peinture très équilibrée.
Cette violence n'exclut évidemment pas la tendresse sans laquelle les peintres devraient cesser de s'exprimer. Toutefois, Yvon Carlet refuse de cèder à la mièvrerie et son regard peut donc parfois passer pour dur. Le métallo qui ressurgit ? Peut-être.
La province l'a repris vers le milieu des années quatre-vingts. Au revoir Paris, bonjour Marseille, oû,pour des raisons professionnelles, il séjournera jusqu'en 1992.
C'est là qu'il redécouvre son "sudisme"intime, qu'il renoue avec la part solaire de Picasso,de Léger,de Pignon, de Cocteau qui n'eussent pas peint comme ils ont peint si la Méditerrannée n'avait pas éxisté.
Marseille donc. Il s'y plait. Sa palette y gagne en chaleur tempèrée. La Provence l'enlace mais ne le dévore pas. A preuve : Il n'hésite pas à franchir le Rhône, sa liquide frontière occidentale. De l'autre côté du pont, l'attend un autre monde et même, en fait, le Nouveau Monde. " Le hasard a voulu que je me sois arrêté à Beaucaire,dans le Gard en 92. J'ai choisi de m'y fixer un moment. Son site, son chateau, toutes ces vieilles pierres, chargés d'histoire, m'y ont retenu. J'ai pu y installer mon atelier et y travailler durant quatorze ans, m'inscrire dans la vie culturelle de la cité, oû j'ai exposé quelques fois ainsi que dans les environs. Notamment à Bellegarde." Il lie connaissance avec un Franco-américain qui l'invite à exposer dans le connecticut en avril-mai 2001. Belle aventure. La gentry new-yorkaise apprécie son travail.
Retour en France.Il réside à Beaucaire jusqu'en novembre 2006. Un autre sud-est l'appelle : celui des Alpes-maritimes. Entre Antibes, à jamais marquée du sceau de Picasso et Cagnes-sur-Mer oû Matisse conjuguait ses bleus. On pourrait trouver pire.Son art évolue encore face à la baie des Anges :c'est le sort des libres pinceaux.
Bernard Oustrières